MISTEL
La « home fleet » mouillée à Scapa Flow a été une épine plantée dans le flanc maritime du grand reich. Depuis l’exploit de Gunther Prien, rien n’a pu être fait pour rogner la puissance de la marine britannique. Les sous marins ne peuvent plus approcher, les avions ont les pattes trop courtes, aussi les services techniques allemands vont se pencher sur le problème. Ils vont commencer à exhumer une réalisation anglaise de Short Mayo (grand constructeur d’hydravions). En 1938, un gros hydravion quadrimoteur, parti de Dundee en Angleterre, a transporté sur son dos un petit hydravion au dessus de l’atlantique qui s’en était séparé et avait volé jusqu’à l’embouchure du fleuver Orange en Afrique Sud. L’attelage avait parfaitement fonctionné, mais la guerre venant, les essais avaient été interrompus.
L’idée fut donc de laisser un gros avion dessous, sans équipage, bourré d’explosif, de le faire piloter par le petit avion jusqu’à proximité de son but et de le diriger ensuite comme une bombe volante, tandis que le petit avion reviendrait à sa base. Techniquement c’était économique, car l’avion bombardier n’avait pas besoin de carburant pour le retour, et le chasseur n’avait pas besoin de carburant pour l’aller, car il pompait son carburant dans les réservoirs du bombardier.
Dès 1942 des essais commencèrent avec un Klemm K1 35A monté sur un planeur de transport DFS 230. Cet ensemble était remorqué par un Junker 52. Le stade suivant fut de monter un Fw 56 sur le DFS 230, et enfin les essais étant satisfaisants on monta un Bf 109 sur un DFS 230 avec un train d’atterrissage. Là encore les essais furent satisfaisants. L’ensemble pouvait décoller seul et atterrir en couple.
Le chef pilote de Junker, Siegfried Holzbauer eu l’idée d’utiliser des bombardiers Ju88 dont les cellules et les moteurs avaient atteint le maximum autorisé en vol. Pour l’avion de « dessus » qui pilotait s’ensemble, on choisit un Bf109 et un Fw 190 modifiés, et pour l’avion porteur un Ju 88A ou un Ju 88G. Le programme prit le nom de « Engin Beethoven ». Plusieurs versions furent envisagées :
Ju88 A/Bf109 (Mistel S1)
Ju88G-1/Fw 190 A-6 ou F-8 (Mistel II)
Ju88 A-4/Fw 190 A-8 (Mistel IIIa)
Ju88 H-4/Fw 190 A-8 (Mistel IIIb)
Ju88 G-10/Fw 190 F-8 (Mistel IIIc)
La charge explosive de 3.800 kg boulonnée dans le nez du bombardier, avait une puissance extraordinaire . Elle pouvait percer 8 mètres d’acier ou 20 mètres de béton armé.
La procédure mise au point était la suivante :
Le chasseur était monté au dessus du centre de gravité du bombardier.
L’intervalle entre les deux avions était tel que l’hélice du chasseur tournait à 10 cm au dessus de la coupole du bombardier
L’avion conducteur était relié au porteur en trois points par des têtes de vis sphériques. Celles-ci étaient bourrées d’explosif à mise de feu électrique. Un étrésillon pliant maintenait la queue du chasseur o l’horizontale. Au moment de la séparation une charge au milieu de l’étrésillon explosait et celui-ci pliait donnant un léger cabré au chasseur, puis quelques dixièmes de secondes après les boulons de séparation explosaient à leur tour, et le chasseur se libérait. L’explosion était commandée par un contacteur basculant dont il fallait au préalable ôter la sécurité. Un deuxième contacteur déclenchait l’explosion d’urgence de tous les boulons (sans délai intermédiaire) pour le cas d’une panne avec le premier contacteur.
Côté technique le cockpit du chasseur était plutôt surencombré :
En plus de l’équipement de base du chasseur, il avait fallu loger tous les instruments de contrôle du bombardier soit deux manettes de gaz, les compte tours, les manomètres de température, de pression d’huile etc… Il fallait installer de manière provisoire d’épais faisceaux de câbles qui étaient fixés par du ruban adhésif aux jambages. Les réglages des pas d’hélice, les commandes des volets de radiateur, du train d’atterrissage et des volets étaient commandés par un système électro-hydraulique. A noter qu’un Mistel assemblé n’avait pas de freins sur les roues. Il était donc remorqué en seuil de piste pour le décollage.
Le décollage n’était pas une mince affaire. Un Ju88 pesait au maximum 13 tonnes au décollage à pleine charge. Un Mistel complet avec les pleins de carburant et la charge explosive pesait plus de 20 tonnes. Cet appareil pouvait décoller avec les plus grandes précautions mais ne pouvait atterrir sans casser le train. Les mécaniciens balayaient la piste de décollage pour éviter qu’un caillou ou une pièce métallique ne fasse éclater un pneu. Ce problème ne concernait pas les Mistel d’entraînement car l’avion porteur n’avait pas ses pleins, ni la charge explosive, et pesait donc le poids d’un Ju88 pleins faits avec son chargement de bombes.
Au décollage le 88 avait une fâcheuse tendance à virer sur la gauche juste avant l’arraché et donc le pilote devait intervenir rapidement pour corriger ce défaut. Sur le Mistel la réponse des commandes électriques était lente. Le pilote du chasseur devait apporter la plus extrême attention et une totale concentration lors de la phase de décollage. Il était gêné par sa position à 4.50 mètres au dessus du sol, et par le gros moteur du chasseur. D’autre part, placé à cette hauteur, les amplitudes des inégalités de la piste le secouaient comme un prunier et sa tête cognait les vitres du cockpit. Ses angoisses n’étaient pas finies car l’hélice du chasseur créait un couple gyroscopique supplémentaire, particulièrement lors du déjaugeage de la queue du bombardier.
Le lieutenant Eckard Dittmann avoue qu’en haut de l’échelle de pompier, il avait les genoux qui tremblaient avant de se glisser dans son cockpit. Autour de son cou une checklist pour être sûr de ne rien oublier :
1. gouvernes Ju88 à 0
2. gouvernes du Fw190 à 0
3. volets atterrissage Ju 88 sur « décollage »
4. volets d’atterrissage Fw190 sur « atterrissage »
5. Hélices Ju88 à « 12heures »
6. Hélice Fw190 sur « automatique »
7. contacteur basculant du Fw190 sur « décollage »
8. contacteur des détonateurs de la charge sur « désamorcé »
9. Contrôle du gyro de route
10. volet de sécurité train position haute
11. vérification de la bonne transmission des ordres aux commandes.
Puis il met pleins gaz aux deux engins et pendant de longues d’angoisse il va attendre que la queue du porteur se soulève, pour pouvoir voir devant lui.
Je reviendrais sur certaines missions accomplies par des Mistel armés.