Mes années Salis
Au début des années 80, mes parents avaient une maison secondaire donnant directement sur le fameux Parc Zoologique de Saint-Vrain. Nous étions, chaque dimanche, réveillés par le rugissement des lions qui n'étaient qu'à quelques dizaines de mètres derrière le mur de notre jardin... Le rugissement des fauves m'a toujours laissé indifférent, en revanche ma passion allait à la Terrot 1925 du voisin, que je passais mes week-end à démonter et à tenter de remonter dans l’ordre… L’entreprise allait mal finir : au mieux la machine cesserait définitivement de fonctionner, au pire j’allais me foutre le nez dans les épines…
Une Terrot 1925 sinon rien
Plutôt que de continuer à me laisser faire le con avec la vénérable mais rétive motocyclette, mes parents prièrent mon oncle d’amener le petit faire un baptême à la Ferté... Moi les avions j’en avais rien à foutre… Je refusais préférant continuer à titiller cette saloperie de carburateur qui entravait si souvent ma joie de chevaucher cette superbe pétoire.
J'avais 12 ans et piloter une Mobylette ne m'intéressait guère, moi je préférais (déjà !) les vieux machins aux formes bizarres et aux noms surannés...
Ma soeur, ma mère qui avait, du coup, pris ma place, revenaient enchantées de leur "baptême de l'air"… Tiens ! C’est si bien que ça les avions ? J’étais dubitatif fallait aller voir ça.
La fois d’après je fus de la fête et je découvris ce qui allait devenir mon deuxième chez moi pendant près de 10 ans…
« Voilà c’est simple faut lui prendre une assurance au cas où il se foutrait la tête dans une hélice, mais sinon il est le bienvenu ! » Je revois Jean-Jacques, le chef mécano de l’AJBS affublé de sa cotte verte comme un uniforme répondre ces mots à mon oncle qui avait proposé ma candidature pour… Balayer les hangars ! J’étais terrifié par ses mots et me voyais déjà transformé en rondelles de salami. Mais sa stature et son statut m’impressionnaient tout autant. « Chef mécano » dans les oreilles d’un gosse de douze ans, c’est plus fort que directeur d’école… J’étais, dès le samedi suivant, à pied d’œuvre, tellement fier.
Du coup, je suis devenu à cette époque le plus jeune membre de l’Amicale, le plus jeune en tout cas qui ne soit pas le fils d’un mécano ou d’un pilote, mon père ayant aucun n’intérêt de près ou de loin pour la mécanique. Il m’arriva souvent d’ailleurs qu’à la question : « Mais tu es le fils de qui, toi ? – Moi je suis le fils de personne ! répondais-je fièrement, ce qui signifiait que j’avais « gagné » ma place sans le piston paternel… »
Mon bleu de travail neuf , je rentrais dans la grande famille, et lorsque j’avais bien gratter un fuselage ou nettoyer des pièces dans les bains de solvants, j’avais parfois le droit de faire un tour : Le Rallye servait aux baptêmes tous les dimanches après-midi et parfois lorsqu’une place se libérait, on gueulait dans le hangar : « File, y a Damiot qui t’emmène ! » Je lâchais tout et filais pour un tour de piste ! Très vite les hommes qui font l’Amicale, je veux dire ceux qui y passent leur vie, au risque voire au prix d’un divorce, me prenait d’affection et l’un d’eux René préposé à la caisse pour l’entrée du Musée me surnomma : Pinokio… Pourquoi, sans doute parce que j’étais un petit bon homme perdu au milieu de ce monde d’adulte…En tout cas rien à voir avec mon nez ou d’éventuels mensonges.
Les gars du samedi
A l’Amicale à cette époque là, il y avait plusieurs groupes, je devraient même dire plusieurs familles. « Les gars du samedi » qui étaient pour beaucoup des employés de la SNECMA et qui suivaient fidèlement les ordres de Jean-Jacques R. (lui même de la grande maison de Melun-Villaroche). Il avait la mission d’entretenir la flotte volante de l’Amicale (nous y reviendrons plus tard).
Compte tenu de mes compétences mécaniques (la Terrot avait finalement rendu l’âme après mes préparations !) et de mon âge, je me voyais chargé du nettoyage, du ponçage et de biens autres taches où seule l’huile de coude avait une utilité. Du coup, quasiment chaque week-end et contrairement à la plus part des autres membres je changeais de chantier et d’équipe régulièrement.
Loulou le rouquin
J’adorais travailler avec Loulou et Marco (?). Cul et chemise ces deux-là : Loulou, petit rouquin trapu avait des talents de mécano hors pair. La semaine il taffait à Juvisy chez un garageot et le samedi matin aux aurores, il sifflait son café au lait, enfilait une belle chemise repassée par Marcelle et sautait dans la DS pour rejoindre le plateau de Cerny. Mes parents travaillant le samedi j’avais réussit à dealer avec mon père pour qu’il m’amène chez Loulou et du coup je pouvais moi aussi être du « samedi »
Aucune mécanique ne lui résistait, les pires pièges devenaient des « taxis de compèt » . Il fumait des cigarettes qu’il roulait grâce à une machine, ça m’impressionnait autant que l’épaisseur de ses doigts, qui maniaient pourtant les boulons de 8 comme personne. Le moteur des Rallye n’avait aucun secret pour lui. Toujours affublé de Marco, un grand gaillard en combinaison verte, je me souviens de ce duo avec tendresse car ils m’ont accueilli comme un fils et m’ont permis de vivre des aventures incroyables. Ils se délectaient à passer leurs journées la tête dans les moteurs, et utilisaient un vocabulaire des plus imagés à l’encontre de ces mécaniques souvent récalcitrantes. J’adorais les écouter, se marrer, gueuler après les « glingues » et les « branleurs de manches » qui « se la raconte ». Ce binôme était un « point de repaire » pour toute l’Amicale.
Le Farman… mon Farman !
A leur côté, je me souviens de Michel et Patricia couple à la ville qui après avoir fait leur armes sous la houlette de Jean-Jacques ont pris leur « indépendance » en « s’attaquant » au Farman. Une cellule toute en contre plaqué un avion à aile haute, j’avoue que le modèle m’échappe… J’ai passé des heures à le poncer ce tagazou… Mais, récompense ultime, le midi, je m’installais au poste de pilotage et y mangeait un jambon beurre aux copeaux de peintures… Un régal ! A l’époque ce n’était pas encore Gérard le patron, mais une adorable patronne dont le nom m’échappe aussi qui prenait soin de moi comme une mère.
(suite : le Bar de l’Amicale)