Le temps ne s'est guère amélioré, mais le Commandement, qui se plaignait déjà depuis quelque temps du faible nombre de sorties, incite la G.D.A. à faire partir le maximum des avions, en dépit des conditions atmosphériques déplorables. Le Groupe accomplit ce jour-là sa mission la plus pénible et la plus coûteuse de toute la guerre. La mission est prévue avec 20 avions, ce qui par beau temps est déjà un dispositif beaucoup trop lourd pour des chasseurs bombardiers. Par mauvais temps la conduite d'une telle patrouille est particulièrement ardue et le Commandant d'Escadre décide de diriger lui-même un dispositif aussi important.
Dès le départ la mission prît une allure dramatique qui devait aller en s'accentuant .
Les 20 avions sont rangés en bout de place pour le décollage, perpendiculairement à la bande d'envol. Sur l'ordre de la tour, le leader prend sa piste et met les gaz. Les pilotes voient s'éloigner et disparaître l'avion derrière un tourbillon de neige. Brusquement une explosion déchire l'air. Personne ne peut voir le bout du terrain, on n'aperçoit qu'une énorme colonne de fumée noire qui monte dans le ciel. Immédiatement la tour fait cesser les décollages, mais trop tard pour empêcher de partir l'équipier qui a déjà pris la bande. L'angoisse est générale, car personne ne peut imaginer que le Commandant d'escadre est sorti indemne d'un accident qui, de loin, paraissait mortel.
En fait l'avion avait eu une défaillance de moteur, à moitié piste et le pilote ne pouvant décoller avait immédiatement réduit les gaz. Mais en serrant le manche, il avait appuyé involontairement sur le bouton de bombardement et, un contact laissé par erreur, avait permis le largage de la bombe. La composition "B' avait fait preuve de sa susceptibilité habituelle et la position inerte n'avait pas empêché l'explosion. Pendant ce temps l'avion arrivait au bout de la piste, s'immobilisait brusquement et perdait sa seconde bombe, qui heureusement n'éclatait pas.
Le calme étant revenu chez les pilotes, la patrouille est prête à décoller. Le LEADER désigné comme second tombe brusquement en panne d'émission ; par signes il peut faire donner l'ordre à un autre pilote de prendre la tête. Le dispositif se rassemble tant bien que mal au-dessus de la piste et 18 avions, en cinq FLIGHTS, prirent la direction de l'Allemagne. Le plafond, toujours très bas, est obscurci par de nombreux grains. Les patrouilles gardent difficilement le contact. L'objectif est la voie ferrée entre EMMENDINGEN et FRIBOURG et la seule façon de s'y rendre en évitant la FLAK, est de voler entre les cîmes de la FORET NOIRE et la base des nuages. Pendant cette navigation le cinquième flight se perd, les quatre autres à la suite d'une erreur de temps dépassent l'objectif et bombardent la voie ferrée OFFENBOURG-HASLACH à hauteur de STEINACH. Ce bombardement, difficile à cause du peu d'altitude, est réussi.
Un pilote oublie de mettre ses bombes sur "active" et la composition " B" manifestant une fois de plus son esprit de contradiction reste insensible à une chute de six mille pieds ; les bombes n'éclatent pas.
Pendant ce temps, le cinquième flight bombarde l'objectif prévu en faisant de nombreuses coupures de voie ferrée puis rentre au terrain sans encombre. Il n'en est, hélas, pas de même des autres avions.
BOXCAR, station radio du G.D.A. suit avec attention les patrouilleurs et le " HOMING" se passe sans incident jusqu'à proximité du terrain où un grain oblige les avions à obliquer vers l'Est. Le leader ayant mesuré l'étendue du grain qu'il ne peut parvenir à contourner, et sachant d'autre part par BOXCAR que le plafond au-dessus du terrain est à six mille pieds, tente une montée jusqu'à cette altitude. Il rentre avec son horizon débloqué dans le grain blanchâtre qui semble assez épais ; mais à peine engagé il s'aperçoit que c'est un grain de neige et décide de faire demi-tour. L'horizon artificiel a l'air de fonctionner mais indique en réalité une position fausse qui allait provoquer le drame.
Au lieu de virer doucement, l'avion opère un virage très accentué. La patrouille intérieure croyant que le chef avait réduit, et ne pouvant conserver sa place, dégage légèrement à droite, en demandant à la radio Vaguemestre la vitesse. Quelques secondes plus tard, le second flight, qui est plus bas que le premier dans un ciel encore clair, voit tomber à la verticale un avion dont il traverse la remous, l'avion s'écrase en feu sur la montagne. Un deuxième, avion. le suit presque aussitôt, redresse et disparaît dans la tempête. Le deuxième flight devant cette avalanche d'avions, se disloque et chacun fait demi-tour isolément. Les troisième et quatrième flights, avertis, peuvent faire demi-tour avant d'entrer dans le grain.
Après quelques minutes la situation est la suivante : le chef du Premier flight a réussi a rétablir sa situation personnelle. Son équipier gêné par un autre avion rejoint le troisième flight. La patrouille d'accompagnement du premier flight a disparu. Le chef du deuxième flight se trouve seul à la sort tie du grain, son équipier est également seul. Par contre, la patrouille d'accompagnement a réussi à rester groupée. Le troisième flight a perdu un de ses équipiers, pris de panique, mais récupère, 11équipiers du premier flight. Le quatrième flight, lui reste complètement groupé. Le réseau radio est immédiatement encombré de demandes de" Homing " émanant de tous ces avions qui, après leur demi-tour précipité, ont complètement perdu leur position.
Sur le terrain, l'anxiété de ceux qui attendent le retour, ne cesse de croître. Le quatrième flight réussit à rentrer le premier, suivi de peu par le troisième flight, puis par la patrouille d'accompagnement du deuxième flight.
L'équipier du deuxième flight, confiant en Saint Christophe suit la première voie ferrée, et par un heureux hasard, arrive aussi jusqu'au terrain. Le chef du deuxième flight, privé de mission, suit le vecteur donné aux autres patrouilles et . après quelques difficultés, retrouve le terrain. Il ne manque plus à ce moment que 4 avions. Un seul est en contact avec BOXCAR : c'est celui du leader. On n'a aucune nouvelle des autres, c'est-à-dire de l'équipier volage un troisième flight et de la patrouille d'accompagnement du premier flight. Il y a trois heures quarante cinq que la mission a décollé . La sonnerie du téléphone retentit et l'équipier volage, au bout du fil, rend compte qu'à bout d'essence il s'est posé sur un terrain auxiliaire à LONS LE SAUNIER. naturellement, on présume que c'est sur le ventre, mais il précise que l'avion est sur les roues et intact.
Pour une fois l'imprudence avait réussi. L'émotion du Commandant de Groupe se traduit par un "savon" le pilote se fait traiter de tous les noms d'oiseaux.
Pendant ce temps la Leader, qui tient l'air à un régime réduit, essaie vainement de se faire ramener par BOXCAR ; quatre heures quinze après le décollage de la patrouille, alors qu'on pensait qu'il était prêt à se parachuter faute d'essence, il apparaît miraculeusement en bout de piste et se pose. On ne sait toujours pas lequel des deux pilotes manquants s'est écrasé au sol. On espère encore n'avoir à déplorer la perte que d'un pilote mais la gendarmerie annonce dans la soirée qu'un avion s'est écrasé près d'ARBOIS et qu'un autre, quelques kilomètres plus loin, a atteint tangentiellement le sol, à grande vitesse et s'est éparpillé sur une étendue d'un kilomètre cinq cents, tuant le pilote dans le choc.
On reçoit confirmation des deux accidents : le premier avion qui s'est écrasé perpendiculairement au sol, s'enfonçant complètement dans la neige, est celui de l'équipier de la patrouille d'accompagnement.
Le second qui a presque réussi à se redresser, a, pour une cause inconnue, perdu son COCKPIT et le pilote, probablement aveuglé par la neige, n'a pu éviter le sol à la fin de sa ressource. L'enquête révèle que son horizon n'était pas débloqué, ce qui certainement fut un facteur supplémentaire parmi ceux qui provoquèrent le drame.
La population d'ARBOIS très affectée par ce double accident, assiste toute entière aux funérailles des victimes.
Cordialement les amis !
Revell